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Union des marchés de capitaux : la réalité derrière les mots

06/03/2015
La décision est très politique : on le constate dans la symétrie de cette initiative avec l’Union bancaire menée de main de maître par la précédente Commission et dans le raisonnement implicite qui la sous-tend. L’économie dispose de deux voies essentielles de financement, les banques et les marchés de capitaux. Maintenant que l’Union bancaire est sur les rails, il est nécessaire de réaliser l’Union des marchés de capitaux. Mais, en examinant la situation de près, ce parallélisme atteint vite ses limites. 

L’Union bancaire avait comme objectif de mettre fin au cercle vicieux par lequel les banques européennes financent les États tout en dépendant de ces derniers pour les sauver en cas de problème(1). L’Union bancaire avait également comme objectif de contribuer à mettre fin à la fragmentation des marchés de capitaux au sein de la zone euro, dont le signe le plus évident est la divergence du niveau des taux d’intérêt. L’Union bancaire est donc le préalable à l’Union des marchés de capitaux car celle-ci suppose l’homogénéité des conditions de financement.

À écouter le Commissaire Lord Hill, l’ambition de l’Union des marchés de capitaux ne semble pas tant être de mettre en place une union stricto sensu que de développer des marchés de capitaux efficaces, c’est-à-dire permettant aux entreprises de se financer aux meilleures conditions possibles et aux épargnants d’investir sur des marchés équitables et transparents. 

Cette ambition est la bienvenue et, bien que différents, les objectifs d’« union » et d’« efficacité » sont clairement compatibles. On regrettera simplement que la législation MiFID2 / MiFIR sur les marchés d’instruments financiers, adoptée en 2014, ait manqué l’occasion de traiter pleinement la question de la capacité des marchés de capitaux à remplir leur rôle vis-à-vis des émetteurs et des épargnants.

Des conditions similaires sur les différents marchés : un défi difficile à réaliser

Idéalement, une Union des marchés de capitaux signifierait que les conditions économiques et juridiques soient identiques sur les différents marchés nationaux de l’Union européenne, ce qui suppo - serait une zone monétaire unique, un droit des affaires unique, un droit des faillites unique, des normes comptables uniques, un droit boursier unique et une supervision des marchés unique, le tout dans un contexte de marchés de taux non fragmenté. Ces conditions « idéales » n’étant ni politiquement réalistes ni techniquement réalisables dans un avenir prévisible (avec quelques nuances selon les sujets), quel contenu l’Union des marchés de capitaux peut-elle prendre demain ? 

Cette Union concernera l’ensemble de l’Union européenne, c’est-à-dire plusieurs zones monétaires. Si cet objectif est politiquement louable, la diversité de ces zones pèsera lourdement sur le résultat effectif espéré. La base d’une Union des marchés de capitaux est d’offrir des conditions financières sinon identiques, du moins similaires sur les différents marchés. En l’absence d’une zone monétaire unique, la divergence du niveau des taux d’intérêt entre places monétaires prendra un caractère structurel. 

Cette question est cruciale compte tenu de la prééminence de la place financière de Londres. En outre, la non-participation de la Grande- Bretagne à l’Union bancaire (condition préalable à l’Union des marchés de capitaux) et le faible réalisme de projets qui viseraient à harmoniser les droits nationaux des affaires, des faillites ou des marchés, laissent planer des incertitudes importantes sur le projet. 

Que reste-t-il donc dans l’escarcelle de l’Union des marchés de capitaux ? Un certain nombre d’initiatives sont déjà en cours : défi - nition de règles pour une « bonne titrisation », pour l’émission de « covered bonds », pour la supervision des infrastructures de marché, pour développer des régimes de placement privé performants, pour améliorer l’information des investisseurs, pour la promotion des « European Long Term Investment funds », etc. Sans nier leur utilité, il serait excessif d’affirmer que leur réalisation permettra à elle seule de réaliser une Union des marchés de capitaux. 

En revanche, un point important, pourtant peu mis en avant dans les débats actuels, serait de développer la convergence réglementaire et celle de la supervision en Europe. Le sujet est essentiel. Sans convergence réglementaire, de nombreuses mesures dites de niveau 2, par exemple des législations de type MiFID, sont décidées par les régulateurs nationaux, ce qui revient souvent à donner le dernier mot au régulateur le moins ambitieux (comme aujourd’hui en matière de transparence post-trade) et aboutir soit à une application faible, pour ne pas dire a minima des législations, soit à des règles divergentes entre les marchés, soit les deux... 

Il faudrait développer la convergence de la réglementation et de la supervision

L’Union des marchés de capitaux est une belle ambition. Sa mise en œuvre sera délicate et nécessitera beaucoup de travail, quel que soit le domaine choisi pour unifier les réglementations. À tout le moins, espérons que les 28 autorités nationales de régulation, réunies au sein de l’ESMA, sauront mettre en place les législations déjà adoptées dans un esprit compatible avec l’objectif de cette Union. Celui-ci commence par la convergence réglementaire et par la convergence de la supervision. Le chantier est ouvert. De sa bonne réalisation dépendra le bon fonctionnement des marchés de capitaux européens.

Thierry Philipponnat, fondateur de Finance Watch, directeur général Europe, 2° Degrees Investing Initiative

 

ENFIN UNE VISION POUR L’EUROPE 

Cette fois-ci, c’est une bonne nouvelle. Pour la première fois depuis longtemps, la Commission européenne est inspirée par une réelle vision déclinable en différentes politiques industrielles, dont l’Union des marchés de capitaux pour le secteur financier, même si les 41 directives portant sur la régulation financière rendent cette tâche malaisée. 

Les effets cumulés des nouvelles réglementations changent radicalement le modèle de financement de l’Europe. Notre défi est de prendre ce virage en douceur, dans des conditions permettant de renforcer la compétitivité de notre industrie financière et l’efficience de notre épargne.

C’est un enjeu de souveraineté. Comment s’assurer le minimum de maîtrise de nos capacités d’engineering financier et de financement en rapport avec notre ambition industrielle ? Notre base de départ étant faible (20 % seulement du financement des PME européennes provient des marchés des capitaux), le besoin de financement va plus que doubler.La compétition sera vive face aux acteurs américains beaucoup plus puissants. Pour relever ce défi, l’approche européenne traditionnelle consistant à compter sur la concurrence pour régler les questions difficiles est risquée. En atteste la décision NyseEuronext-Deutsche-Börse qui a conduit au renfor - cement du monopole des États-Unis dans les dérivés avec la prise de contrôle de Liffe.

L’Union du marché des capitaux doit avoir une double mission :
  • définir les conditions compétitives d’adaptation de l’intermédiation financière (banque, finance, investis seurs, assurance, infrastructures de marché) aux besoins de financement et de prise de risque des entreprises ;
  • optimiser et renforcer la cohérence du cadre réglementaire (single rule book) pour l’aligner sur le couple croissance-stabilité.

Il nous faudra néanmoins trouver un chemin de conver - gence intégrant la diversité des régions du monde sans saper la compétitivité de notre modèle européen qui obéit à une logique spécifique (vertueuse) différente du modèle américain. Il s’agit d’atteindre une masse critique pour la filière grâce à un pool d’épargne orienté vers le long terme et fléché vers les entreprises en particulier ETI/PME et infrastructures (besoin de 650 mds par an). Cette filière devra être capable d’« intermédier » une part significative de l’augmentation mondiale des actifs financiers (de 43 trillions de dollars à 125 en 2020) ou de répondre au besoin probable des entreprises européennes de 5 trillions de dollars, si elles utilisent les marchés comme aux États-Unis...L’exemple français sur l’Euro Private Placement va dans la bonne direction. Il est à reproduire dans d’autres secteurs (titrisation…). 

Mais la clef sera notre stratégie industrielle et nos banques universelles. Il est difficile d’envisager à nouveau une directive sur la structure des banques sans passer d’abord par la phase de réflexion stra - té gique. 
 
Édouard-François de Lencquesaing, délégué général de l’European Institute of Financial Regulation